Une dette partiellement recouvrée par le truchement d’une lettre de crédit ne peut faire l‘objet d’un redressement pour créance irrécouvrable en TVQ selon la Cour du Québec

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Dans une décision rendue le 6 septembre 2024[1], la Cour du Québec (la « Cour »), sous la plume de l’honorable Daniel Bourgeois, a statué que la déduction pour créance irrécouvrable dans le calcul de la taxe nette et prévue à l’article 444 de la Loi sur la taxe de vente du Québec (la « LVTQ ») ne pouvait être réclamée par le fournisseur (la « demanderesse ») sur un montant que celle-ci avait déjà recouvert par le truchement d’une lettre de crédit donnée en garantie au préalable par le débiteur.

Le régime de la TVQ étant harmonisée à celui de la TPS, le même résultat devrait également s’appliquer en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

Résumé

  • L’article 444 de la LTVQ (qui correspond à l’article 231 de la LTA en TPS) permet à un fournisseur inscrit d’effectuer un redressement dans le calcul de sa taxe nette relativement à une créance irrécouvrable ayant été radiée de ses états financiers en ce qui a trait à la TVQ qui a déjà été déclarée et remise relativement à cette créance.
  • Afin que l’article 444 de la LTVQ puisse être applicable, quatre critères sont à prendre en compte, notamment :
    • il doit y avoir une fourniture taxable, autre qu’une fourniture détaxée;
    • la fourniture doit être effectuée à un acquéreur avec lequel le fournisseur n’a aucun lien de dépendance;
    • il doit être établi que tout ou partie du total de la contrepartie et la taxe payable à l’égard de la fourniture est devenu une créance irrécouvrable; et
    • le fournisseur, à un moment quelconque, doit avoir radié la créance de ses états financiers.
  • Toutefois, si le fournisseur récupère des sommes ayant fait l’objet de la radiation, l’article 446 de la LTVQ l’oblige à ajouter un montant de taxe calculé en proportion de la somme ainsi recouvrée dans le calcul de sa taxe nette pour la période où cette somme est recouvrée.
  • Dans sa décision, la Cour a conclu qu’un fournisseur ne peut pas réclamer la déduction pour créance irrécouvrable sur la portion d’une créance qui est recouvrée par ce fournisseur et ce, même si le montant n’a pas été payé par la partie débitrice elle-même.

Faits

Le 21 novembre 2014, la demanderesse a conclu une entente d’approvisionnement d’aluminium à long terme avec le client Sural Laminated Products of Canada (« Sural »), en vertu de laquelle la demanderesse devait fournir de l’aluminium à Sural. Selon l’entente, une lettre de crédit de type « stand-by » a été émise par la Banque de Montréal (« BMO ») pour garantir les obligations contractuelles de Sural jusqu’à concurrence d’un montant de 16 000 000 $ US.

Le 11 février 2019, Sural s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies alors qu’elle devait 52 668 767.86 $ US en factures impayées à la demanderesse en vertu de l’entente en vigueur.

Le 26 février 2019, la demanderesse a reçu un paiement de 16 000 000 $ US de BMO en vertu de la lettre de crédit garantissant les obligations de Sural.

En septembre 2019, la demanderesse a radié comme créance irrécouvrable le plein  montant de 52 668 767,86$ US.

En raison de cette radiation, la demanderesse a réclamé à Revenu Québec, en deux temps, une déduction pour créance irrécouvrable à l'article 444 LTVQ dans le calcul de sa taxe nette attribuable à sa période de déclaration de septembre 2019 correspondant à une radiation de 36 668 767,86$ US et à une radiation de 16 000 000$ US pour sa période de déclaration du mois d'avril 2021.

Revenu Québec a accepté la déduction pour créance irrécouvrable uniquement pour la partie de la créance excédant le montant de 16 000 000 $ US reçu par BMO (équivalent à 4 269 230,29$ CA de TVQ), puisque Revenu Québec a considéré que le montant reçu de BMO en vertu de la lettre de crédit était à titre de paiement partiel des factures impayées par Sural. Ainsi, Revenu Québec a déterminé que l’encaissement de la somme de 16 000 000$ US a réduit la créance de Sural qui était due à la demanderesse, et, en conséquence, le montant de la créance irrécouvrable, de sorte que le demanderesse ne pouvait pas réclamer un redressement supplémentaire de TVQ dans le calcul de sa taxe nette pour la période d’avril 2021, puisque la TVQ incluse dans le paiement de 16 000 000$ US avait déjà été perçue par le demanderesse à même le paiement effectué par BMO.

Question en litige

La question que la Cour devait trancher était la suivante : la demanderesse pouvait-elle déduire en vertu de l’article 444 de la LTVQ un montant de 1 831 896,94$ CAD en TVQ à titre de redressement pour créance irrécouvrable dans le calcul de sa taxe nette pour la période d’avril 2021?

Décision

La position de la demanderesse reposait essentiellement sur le fait que l’émission et le paiement de la lettre de crédit par BMO étaient un « service financier » exonéré en TPS et en TVQ et Revenu Québec ne pouvait donc conclure que le montant versé par BMO incluait ces taxes.  

Par ailleurs, la demanderesse a également tenté de faire un rapprochement entre une lettre de crédit et l’assurance-crédit qui comporte le paiement d’une réclamation d'assurance et l'indemnisation d'une créance devenue irrécouvrable. Selon la position publique des autorités fiscales, l’indemnisation payée en vertu d’une assurance-crédit ne constitue pas le recouvrement d'une créance irrécouvrable pour le fournisseur.

En revanche, Revenu Québec a argumenté dans ce dossier que la position soutenue par la demanderesse mènerait à un résultat absurde puisque celle-ci se retrouverait à recevoir deux fois le même montant de TVQ, soit de BMO et de Revenu Québec. Ce « gain fortuit » devrait ainsi être assumé par l'ensemble des contribuables québécois. Par ailleurs, il faudrait également soutenir la position juridique que la dette de Sural à l’égard de la demanderesse est demeurée impayée dans son entièreté et ce, nonobstant le paiement reçu de 16 000 000$ US, ce qui donne également un résultat incongru. En ce qui a trait à l’argument de l’assurance-crédit, selon Revenu Québec, la lettre de crédit « stand-by » est un produit financier distinct de l’assurance-crédit et on ne saurait traiter de la même façon une indemnité reçue en vertu d’un contrat d’assurance avec une somme reçue par un créancier au terme d’une lettre de crédit. 

Dans son analyse, la Cour a déterminé que la créance de Sural envers la demanderesse totalisait 52 668 767,86 $ US en factures impayées, et que cette somme comportait des montants à titre de TPS et de TVQ. Ainsi, le montant de 16 000 000 $ US reçu de BMO incluait également de la TPS et de la TVQ. Pour avoir droit au redressement de l’article 444 de la LTVQ, une des quatre conditions exige que la créance (ou une portion de celle-ci) soit irrécouvrable. En l’espèce, seulement 36 668 767,86 $ US de la créance de 52 668 767,86 $ US était véritablement irrécouvrable, puisqu’un montant de 16 000 000 $ US a été effectivement recouvert par le truchement de la lettre de crédit donnée en garantie par Sural.

La Cour a également mentionné que l'argument de « service financier » de la demanderesse était sans fondement. Même si le fait d’émettre une lettre de crédit de type « stand-by » est un service financier exonéré en TVQ, la véritable question pertinente pour déterminer si une déduction pour créance irrécouvrable est possible est de déterminer si la créance est vraiment irrécouvrable. En l’espèce, l’entente avec Sural était claire à l’effet que la lettre de crédit devait servir à compenser des factures impayées de Sural. Il était donc clair que les 16 000 000$ US reçus de BMO ont servi à payer pour 16 000 000$ US de facturées impayées de Sural, et cette somme incluait de la TPS et de la TVQ facturées par le demanderesse à Sural.   

Pour ce qui est de la position administrative de la demanderesse relative à l’assurance-crédit,  la Cour a conclu que la position des autorités fiscales, qui ne lie en aucun cas les tribunaux, ne s’appliquait pas en l’espèce puisque l’assurance-crédit implique une relation entre un fournisseur (la demanderesse) et un assureur alors que le produit financier en l’espèce était plutôt un contrat de crédit entre un acquéreur (Sural) et une banque. 

Par conséquent, le redressement de TVQ réclamé par la demanderesse pour créance irrécouvrable n’était valide que pour le solde impayé de la créance resté impayé de 36 668 767,86 $ US, et non pour la portion de 16 000 000 $ US remboursée par BMO par le truchement de la lettre de crédit. La demanderesse ne pouvait donc pas réclamer un montant de 1 831 896,94$ CAD de TVQ en réduction du calcul de sa taxe nette pour la période d’avril 2021 à titre de redressement pour créance irrécouvrable en ce qui a trait à la portion de 16 000 000 $ US remboursée par BMO.    

Faits saillants

  • Dans la mesure où un fournisseur inscrit reçoit un paiement en compensation d’une créance impayée relative à une fourniture taxable, le fournisseur ne peut pas réclamer de déduction pour créance irrécouvrable sous l’article 444 de la LTVQ en ce qui a trait au montant reçu, que ce montant ait été reçu du débiteur lui-même ou d’un tiers.
  • Même si une exception pourrait s’appliquer dans le cas d’une somme versée par un assureur en vertu d’une assurance-crédit émise au bénéfice d’un fournisseur inscrit, un montant versé à un fournisseur impayé par une institution financière qui a émis une lettre de crédit à un débiteur pour garantir les obligations de ce dernier ne peut jouir du même statut puisqu’il s’agit d’un produit financier différent.
  • Un inscrit qui désire réclamer un redressement pour créance irrécouvrable en TVQ doit établir que la créance en question est véritablement irrécouvrable juridiquement parlant. En d’autres termes, l’inscrit doit déterminer si suite au paiement effectué à son bénéfice (que ce soit par un tiers ou non), il ne serait plus juridiquement possible, en théorie, de réclamer cette même somme du débiteur (ou d’un syndic ou contrôleur dans le cas de procédures en insolvabilité entamées par le débiteur). Si la réponse à cette question est négative, il est fort probable que la réclamation de la déduction ne soit pas admissible en TVQ.
  • Le régime de TVQ étant harmonisée à celui de la TPS, la conclusion adoptée par le Cour devrait également s’appliquer en vertu de LTA.  

 [Au moment de la publication de ce résumé, aucun appel n’avait déposé par la demanderesse]

L'auteur souhaite remercier Lea Dumais, stagiaire en droit, pour sa contribution à cet article.

[1] Alcoa Canada Cie c. L’Agence du revenu du Québec, 500-80-042769-225 (CQ).

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